Ses oeuvres

Sur une période de plus de 50 ans, Fortin produira un nombre considérable d’œuvres. De ses débuts, où il s’essaie à peindre des natures-mortes comme on le lui enseigne à l’école, à ses dernières œuvres dans lesquelles il peint de mémoire et effectue une synthèse du paysage rural québécois qu’il décline en de très nombreuses variantes, Fortin réalisera plus de 5000 études, dessins, tableaux et autres œuvres.

Pour départager cette abondante production, on regroupe souvent ses œuvres selon la technique utilisée par l’artiste, car tout au long de sa carrière, non seulement Fortin exploita divers médiums et supports, mais il chercha en plus à renouveler sa façon de travailler avec ceux-ci. Ainsi, à propos de ses aquarelles, ses biographes parlent souvent de ses aquarelles éponges (arbres-éponges), de ses aquarelles pures ou de ses aquarelles mixtes. Quant aux huiles, on les classe selon qu’elles appartiennent à ses grands arbres, ses fonds noirs (manière noire) ou ses fonds gris (manière grise). Si bon nombre des œuvres restantes peuvent être regroupées selon les autres médiums qu’il a utilisés soit la caséine, le pastel, et la gravure, il est toutefois important de noter que ces catégories ne couvrent pas l’ensemble de la production de Fortin. Elles omettent en effet d’inclure ses œuvres de jeunesse, plusieurs de ses œuvres tardives, quantité d’études, certains dessins, des aquarelles à mi-chemin entre ses techniques mixte et pure, de nombreuses huiles qui ne sont ni des grands arbres ni des œuvres sur fond noir ou sur fond gris ainsi que bien d’autres créations inclassifiables.


Aquarelles

Aquarelle éponge ou arbres-éponges

Au tournant des années 1920, Fortin développe à l’aquarelle une façon particulière de représenter le feuillage de ses arbres. Il y exploite le caractère imprévisible des mélanges de couleurs de ce médium si fluide. Après avoir mouillé les masses que forment les frondaisons et avoir pris soin d’y préserver une multitude de petites surfaces sèches, il applique ses couleurs et s’amuse à les voir se fusionner sans qu’elles n’empiètent sur la constellation de petites réserves au sec. Ce sont ces réserves qui donnent l’allure d’éponge aux arbres de cette série et qui leur confèrent, avec la vivacité des teintes utilisées, un caractère si audacieux pour l’époque. 

Une fois l’aquarelle sèche, Fortin n’hésite pas à venir rehausser ses compositions avec du pastel. Ces rehauts de pigments purs participent certainement à exalter encore davantage la vivacité des couleurs sous-jacentes.

Arbres d’automne, vers 1925,
aquarelle et pastel sur papier, 35,6 x 55,9 cm,
coll. privée (F00978)
L’automne, avant 1928,
aquarelle et pastel sur papier,
56 x 71 cm, coll. privée (F00272)
Automne à l’île Sainte-Hélène, entre 1920 et 1930,
aquarelle et pastel sur papier,
45 x 51 cm (F00107)

« À l’aquarelle, vous contrôlez pas votre pinceau. À l’huile, vous êtes sûr de votre pinceau. […] l’aquarelle, c’est du calcul! Une teinte de cobalt, de garance, vous jetez ça sur votre papier, pis c’est rien qu’au bout de 25 minutes que vous voyez l’effet. Vous voyez pas du premier coup. » 

– Marc-Aurèle Fortin, le 8 janvier 1969

Aquarelle pure

À la fin des années 1920, après de longues années d’apprentissage, Fortin devient plus habile et sait anticiper davantage le résultat de l’application de l’aquarelle sur le papier. Il créera alors des œuvres remarquables par leur luminosité et leur vivacité dans lesquelles on sent le savoir-faire du peintre qui construit ses compositions par masses colorées en allant des plus grandes et plus pâles jusqu’aux dernières petites touches plus foncées et saturées.

Par l’utilisation exclusive de l’aquarelle, cette technique est, selon l’artiste, la plus difficile qu’il ait pratiquée. Contrairement à l’aquarelle éponge et à l’aquarelle mixte dans lesquelles il pouvait corriger des éléments ou rehausser des contrastes avec l’ajout de pastel, de crayon Conté ou de fusain, l’aquarelle pure ne permet aucune retouche.

Port de Montréal, après 1926,
aquarelle sur papier,
58 x 71 cm, coll. privée (F00022)
À Sainte-Rose, entre 1925 et 1940,
aquarelle sur papier,
35,5 x 48,2 cm, coll. privée (F00896)
Ferme à Saint-Eustache, entre 1925 et 1940,
aquarelle sur papier, 54 x 70,5 cm, coll. privée (F00852)

 « [L’aquarelle,] plus vous en faites, plus vous avancez, plus vous vous perfectionnez. Et puis, ça devient comme [une drogue], une passion. » 

– Marc-Aurèle Fortin, le 8 janvier 1969

Aquarelle mixte

À la fin des années 1930, Fortin revient de ses séjours dans Charlevoix avec des aquarelles rehaussées de crayon Conté et de fusain. Plus que de simples lignes de construction sous-jacentes à ses couleurs, ces ajouts graphiques constituent un réel apport de motifs à ses aquarelles.

Barques de pêche, Percé, entre 1940 et 1950,
aquarelle et fusain sur papier,
55,88 x 76,2 cm, coll. privée (F00983)
Scène de Charlevoix, entre 1935 et 1950,
aquarelle et fusain sur papier,
53,3 x 71,1 cm, coll. privée (F00994)
Rivière des Mille-Îles, entre 1940 et 1955,
aquarelle, fusain et graphite sur papier,
53,3 x 71,1 cm, coll. privée (F00914)

Tantôt des paysages paisibles où le ciel et les forêts sont légèrement retouchés au crayon, à d’autres occasions ses aquarelles mixtes deviennent de bouleversants et fabuleux paysages dans lesquels le fusain et le pastel a préséance sur l’aquarelle et où le ciel chargé de nuages suggère d’inquiétantes bourrasques.


Huiles

Grands arbres

Au début des années 1920, Fortin se met à peindre ses grands arbres aux feuillages détaillés : des ormes, des érables ou des peupliers immenses que de minuscules personnages font paraître encore plus gigantesques. Ces quelques figurants dans la toile sont à peine esquissés; ils n’apparaissent dans les sentiers ombragés ou au travail dans les champs que pour créer une présence ou un effet de mouvement. 

Au contact de ces œuvres, souvent de grand format, on ne peut qu’être happé par le vert vibrant à leur surface. C’est qu’une grande part de leur composition est réservée à la masse foisonnante des frondaisons dont les feuilles sont détaillées et semblent parfois même virevolter au vent.

Sous ces feuillages, comme abrité par ceux-ci, on retrouve généralement une maison au bord d’une route. Une charrette à foin tirée par un cheval complète très souvent la composition. Celle-ci deviendra en quelque sorte une des marques distinctives de l’artiste, sorte de leitmotiv de son œuvre.

La Route solitaire, 1923,
huile sur toile, 81 x 84 cm,
coll. privée (F00111)
Ferme à Sainte-Rose, vers 1926,
huile sur toile, 99 x 140 cm,
coll. privée (F00102)
Paysage d’été, entre 1923 et 1926,
huile sur toile, 126 x 96 cm,
coll. privée (F00205)

Manière noire

En 1934, de retour de France, Fortin a la tête pleine d’idées. C’est à cette époque que naît cette fameuse technique qui consiste à peindre par touches et par masses colorées en laissant paraître entre elles le support préalablement enduit de noir.

Quiconque observe l’artiste en train de peindre sur fond noir reste médusé devant la célérité avec laquelle il applique ses touches. C’est un véritable tourbillon de couleurs vives qui s’abat sur la toile, communiquant au départ une impression d’œuvre abstraite tellement il est impossible de saisir le sujet qu’il veut livrer. Puis, peu à peu, au cours de ce travail mené à vive allure, on discerne des formes signalant l’embryon d’un paysage. Tout est fait d’instinct et en une seule séance, car cette technique ne permet aucune retouche.

Vue sur La Baie, entre 1946 et 1955,
huile, 48,3 x 59,7 cm,
coll. privée (F00943)
Maison Fauteux à Sainte-Rose, entre 1934 et 1950,
huile sur panneau de fibre de bois, 55,9 x 71,1 cm,
coll. privée (F00985)
Près de Sainte-Rose, entre 1934 et 1950,
huile, 55,9 x 71,1 cm,
coll. privée (F00879)

« La méthode sur fond noir est une technique qui fait ressortir les valeurs à cent pour cent. C’est la relation de l’ombre et de la lumière dans un paysage. Quand vous placez votre vert sombre là-dessus, il devient plus sombre, c’est plus beau. Cette technique vaut surtout pour les temps couverts plus que pour les journées de soleil. »

– Marc-Aurèle Fortin, 11 février 1968

Manière grise

Toujours en 1934, en même temps qu’il expérimente la peinture sur des fond noir, Fortin commence aussi à peindre sur des fonds gris. Alors qu’il utilise une peinture commerciale (un enduit pour les poêles) pour ses fonds noirs, la préparation de ses fonds gris varie. Il utilise parfois un mélange de gris commercial, de blanc et de bleu de Prusse. Le gris chaud ainsi obtenu lui permettait, disait-il, de bien décrire l’atmosphère particulière des ciels du Québec. 

À la manière grise, Fortin a peint plusieurs types de sujets : des paysages d’été dans Charlevoix, des scènes de port européens, de veilles granges l’automne, des vues sur Hochelaga mais ce qu’il affectionnait par-dessus tout avec cette technique c’était peindre des paysages enneigés. 

Village au bord du fleuve, Saint-Siméon,
vers 1938, huile sur carton, 121,3 x 141 cm,
coll. Musée des beaux-arts de Montréal (F01030)
Rue à Saint-Urbain, Charlevoix, 1938 ou 1939,
huile sur panneau de fibre de bois, 101,6 x 121,9 cm,
coll. privée (F00633)
Hiver en Charlevoix, entre 1934 et 1950,
huile sur carton, 55,9 x 72,4 cm,
coll. privée (F01023)

« Les paysages d’hiver sur fond gris, c’est merveilleux. »

– Marc-Aurèle Fortin, vers 1967-1969

Caséine

À la fin des années 1940, Marc-Aurèle découvre un produit nouveau en tube, la caséine, une espèce de gouache formée à partir d’une protéine du lait. Fortin s’enthousiasme pour ce nouveau médium et, s’inspirant de ses compositions à l’aquarelle, il en expérimente les possibilités sur des panneaux de fibres bois dans son vieil atelier de Sainte-Rose. 

Proche de l’aquarelle par sa fluidité, ce qui éblouit l’artiste avec la caséine, c’est son aspect mat et opaque. La caséine masque en effet les teintes qu’elle couvre, contrairement à l’aquarelle qui laisse toujours transparaître le blanc du papier et les couleurs sous-jacentes.

Port de pêche, vers 1955,
caséine sur bois, 67 x 85 cm,
coll. privée (F01368)
Rue de Montréal, vers 1955,
caséine sur panneau de fibre de bois, 74,9 x 90,2 cm,
coll. privée (F00710)
Mars dans les Laurentides, vers 1950,
caséine sur carton, 68,6 x 99,1 cm,
coll. privée (F00980)

Aux couleurs disponibles en tubes, Fortin en ajoute une de sa propre fabrication. Il crée une recette spécifique pour le blanc. Il achète des boîtes de lait en poudre qu’il délaie dans de l’eau. Ce mélange crée des empâtements plus denses qu’il juge idéal surtout pour les nuages.


Pastel

Bien que les pastels de Fortin se comptent en moins grand nombre que ses huiles ou ses aquarelles, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un médium important pour l’artiste qui exécutera des dessins au pastel sec à peu près à toutes les étapes de sa carrière. D’ailleurs, en 1946, la Galerie L’Art français a jugé cette production dessinée assez significative pour en faire, conjointement avec ses gravures, le sujet d’une exposition. On retrouve alors 18 pastels de Fortin présentés côte-à-côte.

Montréal-Nord, vers 1935,
pastel sur papier, 48,26 x 68,58 cm,
coll. privée (F00570)
Au flanc du mont Royal, entre 1925 et 1940,
pastel sur papier, 51 x 59 cm,
coll. privée (F00901)
Barque en Charlevoix, entre 1935 et 1950,
pastel sur papier, 60,96 x 96,52 cm,
coll. privée (F00927)

Le style de Fortin varie dans ses pastels. Parfois, il construit son paysage par masses colorées dans lesquelles les teintes sont à peines modulées et où le pastel est appliqué de manière uniforme en couvrant pratiquement tout le papier. Dans d’autres, son dessin se fait plus gestuel, il construit alors son sujet par lignes et hachures entre lesquelles il laisse paraître la couleur du support. Alors, comme dans ses œuvres à la manière noire ou à la manière grise, Fortin fait jouer un rôle actif à la couleur de ses fonds. C’est pourquoi, il varie la couleur des papiers sur lesquels il dessine.


Gravure

Avec l’apparition de ses premières gravures en 1930, Fortin fait montre de son talent de dessinateur qui jusque-là était resté dans l’ombre de sa réputation de grand coloriste. Au cours de sa carrière, Fortin réalise, selon ses dires, une soixantaine de planches dont malheureusement seulement un peu plus de la moitié nous sont parvenus, car plusieurs ont été égarées avant de voir la presse. 

« Vous savez, [la gravure], c’est excessivement difficile. Il faut avoir une patience effrayante. » 

– Marc-Aurèle Fortin, le 22 octobre 1968

C’est probablement inspiré par les artistes qu’il admire (Clarence Gagnon, Alfred East, Frank Brangwyn et Charles Meryon) et au contact d’Adrien Hébert qui possède une presse, que Fortin commence à pratiquer la gravure à l’eau-forte en 1930. Son sujet de prédilection est sans contredit le port de Montréal, mais il réalise aussi des vues sur d’autres quartiers montréalais, quelques scènes champêtres ainsi que des voiliers et des paysages européens. En fait, Fortin s’inspirait généralement de ses aquarelles, ses huiles ou ses dessins pour graver ses planches.

Moulin de Hollande

Autodidacte dans ce domaine, Fortin aborde l’eau-forte à sa façon avec la fougue, la passion et le désir d’expérimentation qu’on lui connaît. C’est donc davantage pour l’expressivité de son graphisme que pour sa maîtrise technique que ses planches sont appréciées.

« [La gravure,] c’est sept métiers [en] un. La préparation de la plaque, placer le ciment sur la plaque, la gravure à l’aiguille, le dessin à l’aiguille. À part ça, ôter le ciment, l’encrage. Tout un métier, ça, l’encrage. Puis la presse. Encore un autre métier. » 

– Marc-Aurèle Fortin, le 18 mars 1969

Fortin ne numérotait pas ses tirages, il est donc difficile d’estimer combien d’épreuves il a pu imprimer. Une chose est certaine, ses tirages étaient très limités. 

Après le décès de l’artiste, René Buisson, son exécuteur testamentaire, prit la décision de procéder au tirage posthume de dix-neuf planches de gravure dont il était le propriétaire dans le but de financer la Fondation Marc-Aurèle Fortin. Ce minutieux travail fut confié à Madame Janine Leroux-Guillaume, aquafortiste renommée qui mit trois ans pour l’exécuter.

Chaque gravure est signée de la main de Janine Leroux-Guillaume et porte l’estampille de la Fondation Marc-Aurèle Fortin à la partie inférieure droite et, à l’endos, la signature du président de la Fondation.

Le tirage de ces gravures s’établit comme suit :

  • 16 planches tirées à 75 exemplaires;
  • 2 planches tirées à 95 exemplaires; 
  • 1 planche tirée à 15 exemplaires

En apprendre davantage

Vous cherchez à en apprendre davantage sur Fortin voici une liste sélective de quelques ouvrages, articles et films que vous pourrez consulter en bibliothèque :

Monographies ou catalogue d’exposition
  • Bonneville, Jean-Pierre, Marc-Aurèle Fortin en Gaspésie, Coll. Peintres témoins du Québec, Montréal, Éditions internationales Alain Stanké Ltée, 1980, 61 p.
  • Buisson, René, Marc-Aurèle Fortin, un maître inconnu, Montréal, Musée Marc-Aurèle Fortin, 1995, 395 p.
  • Grandbois, Michèle, Dir., Marc-Aurèle Fortin. L’expérience de la couleur, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, 2011, 321 p.
  • Robert, Guy, Fortin, l’oeuvre et l’homme, Montréal, Éditions France-Amérique, 1982, 224 p.
  • Roussan, Jacques de, M. A. Fortin, Coll. Signatures, La Prairie, Éditions Marcel Broquet, 1982, 104 p.
  • Martin, Denis, L’Estampe au Québec, 1900-1950, Québec, Musée du Québec, 1988, 146 p.
Films

Collections publiques

De nombreux musées canadiens possèdent des œuvres de Fortin dans leur collection. Plusieurs d’entre eux exposent sur leurs murs des œuvres du peintre qu’il vous est possible de voir en vous rendant sur place. Nous vous conseillons toutefois de vérifier avant de vous déplacer. 

Voici une liste d’institutions canadiennes qui présentent des œuvres de Fortin dans leur collection :

  • Art Gallery of Nova Scotia, Halifax
  • Musée des beaux-arts de Montréal
  • Galerie Leonard et Bina Ellen, Montréal
  • Université de Montréal
  • Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Montréal 
  • Musée d’art contemporain de Montréal
  • Musée d’art de Joliette
  • Musée national des beaux-arts du Québec, Québec
  • Musée de Charlevoix, La Malbaie
  • Pulperie de Chicoutimi
  • Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa
  • Galerie d’art d’Ottawa
  • Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto
  • Hart House, Toronto
  • McMichael Canadian Art Collection, Kleinburg
  • Robert McLaughlin Gallery, Oshawa
  • Art Gallery of Windsor
  • Agnes Etherington Art Centre, Kingston
  • Art Gallery of Hamilton
  • Winnipeg Art Gallery